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Thonon-les-bains : coup de jeune sur la bio

Thonon-les-bains : coup de jeune sur la bio

Le 22/11/2023

Entre lac Léman et pics montagneux, si la bio connaît des obstacles dans son développement, la relève est assurée par de jeunes acteurs motivés qui cherchent des solutions pour répondre à la forte demande des consommateurs dans cette région.

Entre lac Léman et pics montagneux, si la bio connaît des obstacles dans son développement, la relève est assurée par de jeunes acteurs motivés qui cherchent des solutions pour répondre à la forte demande des consommateurs dans cette région.

Par Marie-Pierre Chavel

Photo d'illustration - Alexis Sale producteur d'oeufs bioPhoto d'illustration - Alexis Sale producteur d'oeufs bio

Avec 6,7% de surface agricole utile certifiée AB, contre 10,7% à l'échelle nationale, la Haute-Savoie est l'un des départements les moins bio de la région.
Mais la consommation y est l'une des plus fortes. Un encouragement pour les jeunes producteurs, tel Alexis Sale à Marin.

Bec ouvert, ailes écartées, les poules d’Alexis Sale, producteur d’œufs bio, cherchent de l’air frais. Ce 12 juillet à Marin, le thermomètre atteint 34,5 °C dans le poulailler, 40 °C à l’extérieur. Les gallinacés n’aiment pas les fortes chaleurs. Homo sapiens non plus. Sauf s’il est tout à son occupation et que rien ne l’en distrait. Comme les enfants. Alexis Sale et Nicolas Quiblier, cogérant avec son frère Vincent du magasin Biocoop de Thonon, n’en sont plus. Pourtant ils échangent debout sous un soleil ardent, aussi frais que s’ils étaient sous un chêne centenaire : « Je vais faire un brumisateur pour rafraîchir les poules… Poulailler automatisé… La calibreuse, tu l’as achetée où ?… » La bouche sèche, la langue pendante, à trois doigts de l’insolation, on les écoute avec attention. Passionnés, à 24 et 26 ans, ils apportent leur modernité à la bio sans dénier le passé.

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Photo d'illustration - Vincent et Nicolas QuiblierPhoto d'illustration - Vincent et Nicolas Quiblier

Vincent et Nicolas Quiblier

Gérants du magasin Biocoop Thonon-les-Bains en Haute-Savoie

Bluffés !

En 2020, les très actifs Nicolas et Vincent Quiblier, diplômés de l’école hôtelière de Lausanne (Suisse), se retrouvent confinés chez leurs parents à Thonon. La période peu propice à la restauration leur permet de voir la vie sous un nouvel angle. Après plusieurs années passées à voyager et travailler dans l’hôtellerie, en Asie et en Europe, en quête d’un projet les réunissant, ils font l’inventaire de ce qu’ils aiment : l’alimentation saine et variée, la chasse aux emballages, le circuit court, la Haute-Savoie, particulièrement le Chablais, entre lac Léman, alpages et stations de ski. Et de ce qu’ils n’aiment pas : leur écoanxiété face au changement climatique. En ressort l’idée de créer un magasin bio. Ils visitent différentes enseignes, sans rendez-vous. « Les gérants des magasins Biocoop se rendaient aussitôt disponibles. Ça nous a bluffés. On a eu un coup de cœur. » En novembre 2021, ils ouvrent leur magasin « gourmand » avec bar de dégustation où se retrouver pour partager, animations festives, boucherie, traiteur, courses en ligne, livraison à domicile… « On montre que le local, la saisonnalité, le zéro déchet, le vrac, ce n’est pas austère », disent-ils, espérant être « vecteur de changement chez les jeunes ». Eux ont déjà changé : « Notre activité nous rend plus sereins. »

Photo d'illustration - Cave fromages bioPhoto d'illustration - Cave fromages bio

Terres en concurrence

La Haute-Savoie est attractive pour la bio, avec sa tradition agricole extensive, des chefs d’exploitation jeunes (seulement 19 % ont 55 ans et plus, contre 31 % à l’échelon national), des terroirs variés qui permettent tout type de production, etc. Touristes, été comme hiver, et travailleurs frontaliers forment un important bassin de population qui fait de ce département l’un des plus gros consommateurs de bio d’Auvergne-Rhône-Alpes, selon Marjorie Guegan de l’association ADABio Savoie. Mais la rareté et le prix de la terre, entre autres, freinent l’essor de la bio, qui ne représente que 6,7 % des surfaces agricoles (moyenne régionale : 11,3 %). « Il y a de la concurrence entre les activités et entre les agriculteurs », reprend-elle. « Si on n’est pas du milieu agricole, il est très difficile de trouver des terres », témoigne Alexis Sale, limité dans le développement de son élevage déjà à l’étroit. En guise de solution, des communes mettent des terres à disposition de projets bio. Également concurrentes, la France et la Suisse qui n’offrent pas le même niveau de salaire. 

Des pépites

L’autonomie alimentaire du territoire est un enjeu dans lequel s’implique Pousses d’Avenir, un chantier d’insertion par le maraîchage bio qui a dû céder 3 ha à la bétonisation. Sur aujourd’hui 2,7 ha et 0,6 ha de serres froides, il cultive 40 espèces de légumes bio vendus en paniers. « On nourrit 280 familles, mais on a beaucoup plus de demandes », peste Jean-Pierre Duffour, le responsable de production qui à la création de l’exploitation en 2009 a « décidé de travailler avec la biodiversité ». Il fournit aussi le magasin Biocoop de Thonon. « Un partenariat extraordinaire, estime-t-il. Si quelque chose ne va pas, on discute, il n’y a jamais rien qui reste en suspens. » Les salariés en insertion (une trentaine par an) peuvent aller en stage au magasin, qui en a déjà embauché trois. Parmi ses 120 fournisseurs locaux, Biocoop Thonon-les-Bains compte d’autres « pépites », comme les appelle Nicolas Quiblier. « Des militants de la première heure » ou des jeunes qui « s’adaptent, font preuve d’innovation. Une génération éclairée ! » Tel Alexis Sale qui a visité une centaine d’élevages avant de s’installer. Ou Emmanuel Schaller, artisan torréfacteur engagé. À Vacheresse, il torréfie des cafés de spécialité* bio et équitables. Montagne Cafés est une entreprise à mission, à la démarche sociale et environnementale pour garantir un café à impact positif. « Des clients nous disent vouloir boire moins de café mais de meilleure qualité », rapporte Nicolas. Son frère et lui sont en train d’ouvrir un magasin Biocoop à Publier-Amphion, près d’Évian, entraînant avec eux leurs pépites, afin de continuer à faire entrer les mentalités dans une nouvelle ère. 

* Cafés haut de gamme, issus des meilleurs terroirs.

Des salariés du chantier d'insertion Pousses d'Avenir, à Publier, au-dessus du lac Léman, peuvent faire des stages au magasin Biocoop de Thonon. Et même s'y faire embaucher. Comme Hang (slide 1). "J'aime la bio, une belle découverte pour moi", dit-elle.

Emmanuel Schaller
Artisan-torréfacteur engagé

Après les micro-brasseries, assiste-t-on au grand boom des torréfacteurs ? « Depuis que je me suis lancé en 2021, il y a en a trois nouveaux en Haute-Savoie », constate Emmanuel Schaller, gérant de Montage Cafés à Vacheresse (de 750 à 2 000 m d’altitude). Sa spécialité ? le café de spécialité ! « Les grains proviennent des plus grands terroirs, ils sont cueillis à la main, à maturité. Ils sont traçables de l’arbre à la tasse », explique cet ancien sportif de haut niveau passé par une ONG et par la direction du domaine skiable Les Portes du Soleil. Un parcours qui lui a permis de construire un « schéma de valeurs » sur lequel il s’appuie dans cette nouvelle expérience : tous ses cafés sont labellisés bio et équitables. « Je grille les grains, je peux raconter leur histoire, mais en amont il y a du monde, principalement des femmes qui cultivent et récoltent. J’attache beaucoup d’importance à la relation client-fournisseur, vecteur de valeurs, de belles rencontres… » On est loin du café industriel souvent issu de la déforestation, du grain torréfié parfois plusieurs année après récolte en moins de 2 min à très haute température (800 °C). « Une torréfaction de 15/16 min entre 200 et 206 °C adaptée à chaque origine donne un café bien moins amer, il n’a pas besoin d‘être sucré. » What else ? Passé dans une cafetière filtre ou à piston, il développe ses arômes sans polluer comme les dosettes de certaines marques… Référencé en tant que « Petit producteur » par la coopérative Biocoop, Montagne Cafés est déjà présent en Haute-Savoie dans les magasins de Douvaine, Scionzier et Thonon

François Girard-Desprolet

Éleveur 4.0

Photo d'illustration - François Girard-DesproletPhoto d'illustration - François Girard-Desprolet

« La Ferme de la Lanche est une ferme familiale passée en Gaec en 2001. J’y suis arrivé en 2007. Aujourd’hui, on est sept associés, tous de la famille. Nos 130 vaches et 90 génisses sont principalement de race abondance, rouge acajou à lunettes. Ici à Abondance, on fabrique… de l’abondance. Mon grand-père a participé à la création de l’appellation de ce fromage en 1990. L’AOP protège la race et le savoir-faire de fabrication, mais il y a des lacunes pour ce qui est de l’environnement. Même pour ma génération. L’école d’agriculture nous disait de traiter les prairies. Or, mon père nous a toujours expliqué que chaque plante était importante. On a commencé la conversion en bio en 2017. On aurait pu avant ; le Gaec était déjà dans la philosophie mais on avait peur de ne pas trouver de céréales bio et françaises. Avec le robot de traite, installé depuis un an, les vaches sont plus autonomes, moins stressées, nous aussi. Même la transformation est plus facile. Les vaches portent un collier qui calcule ce qu’elles mangent, combien de temps elles ruminent… Ça nous permet d’être avertis tôt en cas de problème de santé. Certains nous considèrent comme une ferme industrielle, mais, nous, nous connaissons et prenons soin de nos vaches. Pour l’abondance, ce qui compte, c’est une bonne flore, un bon pâturage, un bon fourrage, et le coup de main lors de la fabrication. »

Alexis Sale

L'ami des poules

Photo d'illustration - François Girard-DesproletPhoto d'illustration - François Girard-Desprolet

« Les poules sont sensibles, dit le jeune éleveur. Elles n’aiment pas la chaleur, le bruit, les phares des voitures… » Le bien-être de ses pensionnaires à deux pattes est sa priorité. Il leur a fait un beau parcours enherbé, environ 5 m² pour chacune. La législation bio en impose 4. Pas de chance, depuis qu’il a créé son exploitation, Les œufs d’Alex, en 2020, la grippe aviaire l’a contraint à confiner plusieurs fois ses 2 400 poules dans les deux poulaillers, des « volières » dernier cri leur offrant un espace sur trois niveaux où elles peuvent se percher, gratter, faire de la poussière, bouger sans se marcher dessus et dans de bonnes conditions d’hygiène. « Pendant deux mois, trois fois par jour, 7 jours sur 7, je leur apprends à monter les étages. » Le système prévoit un pondoir et un tapis pour le ramassage automatique des œufs qui permet à Alexis de travailler seul, faute de pouvoir embaucher. Il ne produit pas l’alimentation – pas de place –, mais il en trouve à 150 km environ, 100 % bio et française. « Une poule, ça pond par le bec, dit-il. Si elle ne mange pas, à cause de la chaleur par exemple, ou mal, elle pond moins. » Après quatre-vingt-dix semaines de bons et loyaux services chez lui, toutes les poules finissent leurs jours chez des particuliers. 

Article extrait du n°130 de CULTURE BIO, le mag de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles.

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