Sobriété : faire mieux avec moins, c'est possible !
Le 20/12/2022
par Véronique Bourfe-Rivière
Guerre en Ukraine, pénurie de gaz, changement climatique, depuis quelques mois, le mot sobriété est dans tous les discours.
Mais autant il est synonyme de qualité et d’élégance lorsqu’il est appliqué à la mode ou à l’architecture — le fameux « Less is more » du designer allemand Ludwig Mies van der Rohe, père du minimalisme —, autant, lorsqu’on l’utilise pour désigner un mode de vie, … les dents grincent, comme s’il s’agissait cette fois d’une atteinte à la liberté, d’un enfermement dans une austérité contrainte.
Quels que soient les termes employés, tempérance, frugalité, sobriété, depuis l’Antiquité de nombreuses philosophies et religions l’affirment : le bonheur ne se trouve pas dans les possessions matérielles.
C’est par exemple dans la modération que le prince hindou Siddhartha Gautama, après avoir expérimenté une ascèse extrême, a trouvé « la Voie du Milieu », désormais chère aux 400 millions de bouddhistes sur la planète.
« Zéro déchet », pas d’achat de neuf pendant un an… De nouveaux défis comme des jeux !
Un monde qui fait rêver
« Quand les gens imaginent le futur de notre planète impactée par le changement climatique, ils se réfèrent à des films comme Mad Max, explique Barbara Nicoloso, directrice de Virage Énergie, association spécialisée dans la prospective énergétique et sociétale.
La sobriété nécessaire est perçue comme une pénurie, une catastrophe… Alors qu’il s’agit au contraire de reconstruire un monde plus juste, loin de la véritable ébriété énergétique dans laquelle nous vivons ! »
Elle décrit la sobriété comme un rééquilibrage de notre système, où l’on ferait « la différence entre le nécessaire et le superflu. Dans la société actuelle, on nous dit que posséder, c’est être heureux. Il nous faut arriver à faire rêver à un monde où l’on vit mieux, avec un système social, politique et économique très différent ».
Humain et sur mesure
Pour y parvenir, il n’existe pas de baguette magique.
« Le nerf de la guerre, c’est la volonté politique. Absolument tout le monde doit agir. On ne peut pas faire reposer la responsabilité seulement sur l’individu », assure-t-elle.
Tout cela prend du temps et nécessite de la concertation entre la société civile, l’économique, le politique… Il n’y a pas de normatif possible, cela ne peut être que du sur-mesure, puisqu’on n’imaginera pas les mêmes solutions selon que l’on vit dans une métropole ou un petit village isolé. Les liens humains sont absolument fondamentaux pour ce nouvel équilibre et contribuent intrinsèquement à le rendre plus agréable.
C’est comme en agriculture : « L’entraide y a toujours été très importante », remarque Vincent Lestani.
Il s’arrange avec son voisin éleveur de bovins, lui laisse le foin de ses prairies contre du fumier pour fertiliser ses cultures. Un écosystème très local.
Il regrette que l’agriculture devienne de plus en plus « un centre de coûts. Jusqu’à la fin des années 1990, le cahier des charges de l’agriculture biologique tendait vers des systèmes de production autonomes. On disait autrefois que l’argent que gagne un paysan, c’est surtout celui qu’il ne dépense pas !, s’amuse-t-il. Aujourd’hui, il y a de moins en moins d’élevages, l’objectif est de produire plus, on va acheter des engrais organiques industriels… Ce n’est pas la même chaîne logistique ».
Vincent Lestani, maraîcher bio près d’Agen (Lot-et-Garonne), membre de la Cabso, coopérative sociétaire de Biocoop
Une agriculture de sobriété
Vincent Lestani revendique la sobriété dans son travail.
Au lieu d’acheter ses plants en motte en pépinière, ce qui serait certes un gage de réussite de ses cultures et lui ferait gagner trois à huit semaines, il sème directement en terre l’essentiel de sa production.
Il y voit plusieurs intérêts : la graine germe dans le sol où elle va croître, il ne se déplace pas, ça lui coûte moins cher…
« Et surtout j’y prends énormément de plaisir. C’est un geste ancestral qui va nourrir l’humanité, je trouve cela gratifiant. C’est un vrai bonheur de voir les graines germer, pousser… »
Pour lui, être sobre c’est « veiller aux conséquences de ses actes ».
Par exemple, il refuse d’utiliser du plastique pour limiter l’enherbement et garder ses cultures propres, ce qui lui permettrait pourtant d’être plus compétitif commercialement.
On le comprend bien, la notion de sobriété s’oppose à celle de la profusion et de la compétitivité économique. Déjà au XIXe siècle, le philosophe américain Henry David Thoreau, refusant une société en cours d’artificialisation, faisait dans Walden ou la vie dans les bois, ouvrage devenu la bible de l’écologie, l’apologie d’une vie simple. C’est, semble-t-il, dans la coupure d’avec le vivant que se trouve le nœud du problème.
Ce que confirme Vincent Lestani lorsqu’il regrette : « Souvent le consommateur méconnaît la réalité de la production agricole, il exige par exemple des produits propres, calibrés, dont l’impact sur la planète est fort. »
Expériences positives
Plus largement que l’agriculture, l’alimentation est particulièrement au cœur de ce système. Depuis la production jusqu’à la consommation, elle nécessite des moyens de transport, souvent de la transformation, elle génère plus ou moins de déchets, impacte notre santé.
Elle peut donc être, selon les aliments que l’on choisit et comment on les consomme, un levier fort pour aller vers plus de sobriété.
Sur le terrain, de nombreuses expériences de consommation frugale existent déjà, des collectifs de citoyens en transition se sont lancés dans des projets variés comme des jardins partagés, des défis « zéro déchet », l’alimentation positive ou l’énergie positive.
« Tout cela, c’est principalement grâce à des associations qui pallient les défaillances des collectivités et de l’État, commente Barbara Nicoloso. On pâtit aujourd’hui de la non-anticipation du problème, qui est pourtant connu depuis plus de cinquante ans ! »
Elle regrette qu’il ne s’agisse pour l’instant que « d’incantation. Seule la flambée des prix fait bouger les gens.
Mais on ne remet encore pas foncièrement en question le modèle capitaliste. La sobriété dont parlent nos gouvernants, ce n’est pas un projet de société, c’est juste une réaction pour passer l’hiver, et après, ils pensent reprendre tout comme avant ».
Barbara Nicoloso, directrice de Virage Energie
Résistance au changement
La majorité d’entre nous est encore dans la classique résistance au changement.
D’où la nécessité de mettre en valeur tous les avantages d’une vie plus sobre. On en oublie souvent les cobénéfices, par exemple utiliser des moyens de transport moins polluants, donc la marche ou le vélo, c’est moins de sédentarité et de pollution, cela améliore notre qualité de vie.
Virage Énergie emmène les élus voir ce qui se fait ailleurs, les habitats bioclimatiques à Fribourg-en-Brisgau en Allemagne, les pistes cyclables en Belgique et aux Pays-Bas, et tous les territoires qui ont déjà pris une longueur d’avance.
Comment être plus persuasif ?
« On ne peut pas imposer une sobriété qui serait subie, ce serait contre-productif, assure Barbara Nicoloso. Et il est difficile de mesurer le bien-être, nos logiques sont encore très comptables. Il faut faire beaucoup d’éducation populaire et créer de la transversalité. Des élus commencent à voir les enjeux d’attractivité des villes où il fait bon vivre. On peut s’appuyer aussi sur les artistes et milieux culturels pour qu’ils diffusent ces idées. »
La conclusion de Vincent Lestani parle d’elle-même : « Oui, la sobriété, économiquement, c’est moins rentable, mais sur le plan humain, c’est tellement plus riche… »